"De Pierre Lods à Docta : Médina, la cité muse"
Naissance de la Médina
La ville de Dakar, érigée en capitale de l'A.O.F. (Afrique Occidentale Française) en 1902, devient une cité attractive en un centre d'affaires dynamique. Les indépendances africaines survenues au début des années 60 confortèrent la position de cette ville de l'Afrique de l'ouest. Dakar devint la capitale du Sénégal indépendant le 4 avril 1960. Le quartier de la Médina, arrimé au quartier administratif du plateau, est né des flancs de ce centre colonial. Il fut créé en 1914, à la suite d'un contentieux. La raison avancée alors par l'administration coloniale est qu'elle voulait se préserver des épidémies récurrentes de peste et de choléra.
Le quartier vit donc le jour après moult tensions entre l'administration coloniale française et les autochtones. Le guide de la confrérie tidjanya, El Hadji Malick Sy, afin d'apaiser les tensions et inciter les populations locales à accepter le déguerpissement du plateau, baptisa ces nouvelles implantations du nom de Médina, à l'image de la Médine d'Arabie.
Du fait du rôle de ce guide religieux, la grande avenue qui sépare le plateau du quartier de la Médina porte son nom : "Avenue El Hadji Malick Sy".
Etant née d'un contentieux, la Médina fut insoumise dès sa gestation.
Naissance de l'Ecole des Arts de Dakar
L'empreinte du premier président de la République sénégalaise, le poète et académicien Léopold Sédar Senghor, est très présente dans l'histoire culturelle et artistique contemporaine du Sénégal.
Ainsi, il sollicita le professeur breton, Pierre André Lods pour participer à la création de l'Ecole Nationale des Arts de Dakar. Grâce au ministre de la culture française, André Malraux, ce breton originaire de Lorient, dans l'ouest de la France, fut affecté au Sénégal en 1960. Il avait auparavant mis en place l'emblématique école de peinture de Poto - Poto au Congo en 1951.
Sous la direction de Pape Ibra Tall, les formateurs Pierre Lods et Iba Ndiaye, sous la supervision parfois très affirmée du Président Senghor, mirent en place les bases pédagogiques de la formation en arts plastiques à Dakar. Ce département s'intitulait : "la section de recherches plastiques nègres".
De cette formation, naquit le courant artistique nommé "Ecole de Dakar". Si certains des premiers artistes sénégalais adoptèrent ce courant, d'autres préférèrent prendre une certaine distance avec ce mouvement dans lequel l'empreinte du Président Senghor était trop présente.
Ce concept d' Ecole de Dakar fut jugé par ses réfractaires, comme un prolongement de l'idéologie du mouvement de la Négritude, initié dans les années 1930 à Paris, par le trio Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire et Léon Gontran Damas.
L'atelier de Pierre Lods
Pierre André Lods ne fut pas seulement un des formateurs de la section de recherches plastiques de l'Ecole des Arts dès 1961, comme second de Pape Ibra Tall; mais aussi directeur en 1966 après le départ de ce dernier. Il fut aussi le fondateur d'un atelier de formation situé rue 15, au sein même de sa maison qui était l'ancienne demeure d'Ibrahima Diop, grand chef de la collectivité lébou. Pierre André Lods, partisan d'une approche spontanée dans la formation des artistes, ouvrit cette atelier libre de tout académisme, au cœur même de la Médina.
Plusieurs jeunes artistes bénéficièrent alors de ce centre de formation, comme Amdy Kré Mbaye, Zoulou Mbaye ou encore Obeye Fall qui fut son dernier élève.
Foyer culturel, cité insoumise
Le quartier a toujours abrité des ateliers d'artistes et a servi d'incubateurs à maints courants, collectifs ou groupes d'artistes. En effet, autour de l'atelier - maison de Lods, se situaient d'autres cercles ou foyers de création comme la maison des Mbaye (Kré et Seny), le studio mythique de photographie de Salla Casset, la Miami Club d'Ibra Kassé et la troupe dramatique Caravane Sérail établie au Centre Culturel Africain sur l'avenue Malick Sy, près du Stade Assane Diouf.
On retrouvait aussi, derrière le stade Assane Diouf, dans le quartier Niayes - Thiokeer, les ateliers de fabrication de mallettes à base de canettes de boissons récupérées ainsi que la peinture "souweer".
La Médina, cette immense "damier", d'une superficie de 2,4 km carré, abritait les maisons familiales de la majorité des illustres personnalités des arts et de l'élite de cette jeune nation qu'était le Sénégal des années 1960. Pour d'autres artistes venus de régions intérieures du pays, comme Viyé Diba, Ismaïla Manga, Obeye Fall ou encore Ndoye Douts, la Médina fut un quartier d'accueil et d'expérimentations artistiques.
Le quartier a abrité les plus importants courants et collectifs artistiques du dernier quart du XXème siècle. De l'installation de l'Atelier Libre de Pierre Lods à la rue 15 de la Médina, en passant par la floraison d'espaces de création d'artistes plasticiens comme ceux de Amdy Kré Mbaye, Amadou Sow, Ismaïla Manga, Wagane Sakho, Viyé Diba, Mamadou Fall Dabo, Moussa Baidy Ndiaye, Babacar Sadikh Traoré, Fodé Camara, El Hadji Sy, Mamadou Zulu Mbaye, Obeye Fall, Fatime Mbengue. Ces différents foyers attestent de la forte présence d'un terreau culturel fécond.
Ces artistes se retrouvent ensuite sous la bannière de la structure associative ANAPS (Association Nationale des Artistes Plasticiens du Sénégal), dont le siège et la galerie se trouvaient sur l'avenue Malick Sy au sein du Centre Culturel Africain, puis plus tard dans la demeure de Moussa Baidy Ndiaye, au cœur de la Médina, rue 23, angle 6.
L'ANAPS vécut tant bien que mal et fut minée trop souvent par des conflits d'intérêts et des luttes de pouvoir, phénomène chaotique récurrent au sein des associations!
Dans ce quartier même, naquit en 1988, le mouvement artistique du Set Setal "Propre et rendre propre", mouvement très populaire, qui allait ensuite s'étendre à toute la capitale sénégalaise, et toucher dans une moindre ampleur les grands centres régionaux du pays.
C'est autour des artistes Obeye Fall et Amadou Sall notamment, regroupés au sein de l'A.J.M. (Association des Jeunes de la Médina), que l'idée originale de nettoyer la ville et peindre les murs vit le jour; avant que l'ONG ENDA, dirigée par Jacques Bugnicourt, soutienne l'idée et lui donne les moyens logistiques pour se développer.
Le mouvement du Set Setal était une immense récréation urbaine qui consistait à nettoyer , décorer, embellir les murs de la capitale qui sortait de périodes électorales violentes et contestées et d'un conflit avec la Mauritanie. Le mouvement donna l'idée au chanteur Youssou N'Dour, originaire du quartier de la Médina, de composer une musique intitulée "Set" (Propre).
Youssou N'Dour donne l'occasion d'une autre incursion dans le domaine musical. En effet, le groupe Xalam s'installa sur l'avenue Malick Sy en 1970, avant de s'envoler vers Paris dans les années 1980. Le Xalam partageait le même bâtiment que le Miami Club d'Ibra Kassé, grand patron de l'orchestre Star - Band de Dakar.
Ibra Kassé promoteur et gérant du Miami Club situé sur l'avenue Malick Sy, fut le père fondateur d'une musique sénégalaise qui cherchait sa voie en cette période. Beaucoup de ténors firent leurs armes au Miami Club sur l'avenue Malick Sy, dont la notoriété dépassait les frontières du pays. Il se dit que certains mélomanes quittaient Paris le samedi, pour venir danser aux sons du Star Band de Dakar, du Miami Club d'Ibra Kassé. C'est à Ibra Kassé que le père de Youssou N'Dour confia ce dernier en 1976, afin qu'il ne se perdit pas dans les méandres d'une vie d'artiste. Youssou N'Dour fit ainsi son entrée officielle dans le monde professionnel du spectacle au Star Band d'Ibra Kassé.
L'histoire est édifiante sur la suite de la carrière internationale de "L'enfant de la Médina" trois décennies plus tard. Il ne fut pas le seul illustre musicien issu de la Médina, le grand percussionniste Doudou Ndiaye Rose en est également originaire.
Revenons à nos centres d'intérêts que sont les arts visuels , même si les autres formes d'expressions comme le théâtre et le cinéma étaient au cœur de la Médina. A deux pas du Miami Club, répétaient les troupes dramatiques qui allaient donner naissance au théâtre filmé, genre très prisé en Afrique de l'ouest.
A l'orée des années 2000, d'autres structures naquirent, comme "L'Espace Médina", au sein d'une maison, carrefour et croisement de plusieurs synergies culturelles , celle de Traoré. Elle se situe (toujours) à la rue 33, angle 10, en face du cinéma "El Haj", aujourd'hui devenu boite de nuit "Le Penc Mi". Le crooner Thione Seck y anime des soirées musicales, si ce n'est pas son fils Waly Balago Seck, la nouvelle coqueluche des nuits dakaroises.
La maison des Traoré a toujours été au cœur des courants et synergies artistiques de la capitale . Elle est riche de personnages emblématiques comme Mouhamadou Traoré Diop, homme de gauche, écrivain, journaliste et conseiller de deux présidents successifs du Sénégal (Diouf et Wade); Aly Traoré un des premiers diplômés de l'Ecole des Arts de Dakar, qui vit désormais au Japon; Babacar Sadikh Traoré sculpteur, designer qui a eu les honneurs du pays et a été primé à l'international... Les plus jeunes sont le sculpteur Moussa Traoré et le stylisme et costumier Cheikh Bamba Loum dit Cheikha.
Autour du sculpteur Moussa Traoré, se regroupèrent les peintres Khassim Mbaye, Sayo Camara et El Hadji Kone. Ils formèrent ensemble l'Atelier de création "Espace Médina", au sein de la maison familiale des Traoré. Dans les années 1990, à quelques pas de la maison des Traoré, la costumière et styliste Oumou Sy vint poser ses bagages et s'installa dans un immeuble de trois étages où elle créa son atelier intitulée "Leydi", et son école de formation aux métiers du stylisme, des parures et du design d'intérieur. C'est de cette demeure qu'Oumou Sy initia plusieurs carnavals de Dakar, événement annuel auquel participèrent plusieurs artistes. Elle y réalisa également les costumes du film "Hyènes", du célèbre réalisateur sénégalais Djibril Diop Mambery, l'enfant de Colobane. Ce film est une adaptation de "La visite de la vieille dame", une oeuvre de l'écrivain suisse Friedrich Durrenmatt.
Au sein même de la famille Traoré, le jeune Cheikh Bamba Loum, créa un atelier collectif de stylisme avec des jeunes du quartier et lança des lignes de vêtements thématiques comme "Keur Gui" (La maison), "Niou Deem" (Patrons, avançons) ou encore "Foo Djeum" (Où vas tu?), messages forcément adressés à la jeunesse sénégalaise. Nous sommes au début des années 2000. Sa notoriété fut plus reconnu sous le label "SIGIL" (Relève la tête). Cheikha reçut le prix du FIMA (Festival International de la Mode Africaine) et en 2005 le prix de la ville de Paris.
Ces créations furent très prisées dans le milieu artistique et Cheikha fut aussi sollicité pour les costumes du film "Teranga blues" de Moussa Sene Absa. Il créa plusieurs tenues pour la troupe de musique Daraa J du chanteur Fadda Freddy ou encore de Ndongo J. Les ateliers de Cheikha déménagèrent quelques années après, à la Sicap, rue 10.
Les années 90 furent les années de la génération "Boul Faléé" (T'occupes), cette nouvelle génération passionnée de rap et de culture hip - hop. Ainsi, la Médina ne fut pas en reste. Elle abrita des collectifs et groupes de rappeurs ou de break - dance : "Kocc -Barma", "Daraa J", "VIB", "Rapadio". Beaucoup parmi les précurseurs du rap sont issus de ce quartier, et y formèrent des cercles.
Amadou Ngom alias Docta en est le produit le plus patent. C'est un artiste qui a pratiqué toutes les formes d'expressions de la culture hip - hop. Il a débuté sa carrière de break - dance, ensuite de rappeur, pour finalement se consacrer au graff, qui lui donne une reconnaissance nationale, et internationale désormais. Docta est considéré comme l'initiateur du graff au Sénégal et un des piliers majeurs en Afrique.
Ces quelques courants, groupes ou collectifs ne sont pas les seuls nés dans ce quartier, qui en a abrité bien d'autres, sur lesquels il faudra revenir ultérieurement. Il est évident que ce quartier est un véritable incubateur de parcours, de courants artistiques et qu'il porte la "Baraka" à tous ceux qui y sont. Les histoires de vie ont parfois éloigné les artistes, qui ont migré vers d'autres espaces, d'autres lieux, d'autres villes; mais la Médina reste et restera toujours pour certains, le quartier de démarrage d'une carrière, celui de l'envol, elle est la cité Muse!
Cette histoire entre la Médina et les artistes est perceptible dans le parcours de plusieurs d'entre eux qui s'y sont installés, y ont expérimenté des pratiques artistiques qui lorsqu'elles ont eu un écho plus large, leurs permettent de connaitre la reconnaissance, puis de se déplacer vers d'autres quartiers plus "Marchands" ou qui offrent plus de visibilité, ou encore hors des frontières du pays.
Au commencement était Lods, et maintenant Douts et Docta poursuivent l'histoire...
Mouhamadou Ndoye dit Douts est actuellement un des artistes de la Médina une des carrières internationales la plus brillante; ses oeuvres sont exposées aux quatre coins du monde, comme lors de l'exposition itinérante "Africa Remix" présentée au Muséum Kunst Palast de Dûsseldorf en 2004, à la Hayward Gallery de Londres, au Centre Georges Pompidou de Paris et au Mori Art Museum de Tokyo. Originaire de Diender, il s'installa dans la Médina dès son arrivée à l'Ecole des Beaux Arts de Dakar, au milieu des années 1990. Sélectionné pour la seconde fois en 2016, à l'exposition internationale la biennale Dak'Art, Ndoye Douts vit actuellement en région parisienne; mais il garde toujours un pied à la Médina, grâce à son atelier de la Gueule - Tapée, qu'il occupe périodiquement.
L'autre figure marquante de la Médina est Docta.
Amadou Ngom, plus connu sous son nom d'artiste de Docta dirige un collectif de graffeurs intitulé "Doxandem Squad". Ils sont à l'initiative de deux festivals annuels de graff : "Festigraff" et "Graff - Santé" en collaboration avec des institutions et le corps médical sénégalais. De Dakar à Paris, en passant par Rio ou le Musée Guggenheim de Bilbao, Docta participe à des expositions d'art contemporain et à des projets collectifs sur le street - art. Sa maison à la Médina est entourée de graffs, et plus largement, le quartier est devenu en quelques années un véritable musée du street - art grâce aux différents projets d'art urbain qui s'y sont développés.
De nos jours, la présence sur les murs du quartier de graffitis mystiques de Pape Diop, ainsi que les musées à ciel ouvert qui se développent jusque sur la Corniche (Association Damels), démontrent encore la capacité de cette cité à accompagner ou à abriter les projets artistiques les plus contemporains.
Plusieurs festivals internationaux dédiés aux arts urbains ont trouvé un terreau fertile à la Médina. Une collaboration s'est engagée par exemple avec l'ASC (Association Sportive et Culturelle) Damels du quartier. Le musée à ciel ouvert qui se développe chaque année, est situé principalement entre l'avenue du docteur Samba Gueye (Anciennement rue 6) et la Corniche, dans la zone du village artisanal, près de l'atelier du designer Ousmane Mbaye à Soumbédioune.